Women In Art Magazine Jan 63 min readCritique ciné - Annie Colèreune critique ciné écrite par Marie GuéziecBlandine Lenoir signe son quatrième long-métrage Annie Colère, dans lequel elle exploreles coutures de la solidarité féminine et féministe.Février 1974 : Annie (Laure Calamy) est enceinte. Ouvrière, mère de deux enfants, elle ne peut sepermettre d’accueillir une nouvelle bouche à nourrir dans le foyer. Elle sollicite l’aide du MLAC(Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) afin de se faire avorterillégalement. Un an avant l’entrée en vigueur de la dépénalisation de l’IVG, la colère gronde dansles locaux du MLAC : pas assez de moyens, de médecins pour pratiquer le geste, pour trop defemmes piégées dans le regard péjoratif lancé à la contraception féminine. Annie s’engage : elleprête main forte à l’association, accompagne les femmes, finit par pratiquer elle-mêmel’avortement sur les patientes. Annie s’épanouit.« Annie Colère est un film profondément féministe »Le film dépeint avec brio le geste de la solidarité féminine : cela commence par une main tendue,un chant d’espoir, que l’on intègre et que l’on répète, que l’on achève par l’acquisition denouveaux droits. Au MLAC, on se serre les coudes : les témoignages résonnent dans les locauxdans de glaçants monologues qui révèlent la réalité de l’avortement. Avorter parce qu’on ne peutplus, avorter parce qu’on ne veut plus, avorter parce que l’autre ne veut pas. Avorter est uneviolence : non pas dans l’acte en lui-même, présenté comme surprenamment rapide et indolore.La violence survient lorsque les autres s’en mêlent ; lorsque le compagnon impose, lorsque leregard mal avisé d’un autre s’y pose, lorsque l’État empêche. Les larmes ne coulent jamais deregret ou de remords. L’on pleure parce qu’il est difficile d’être femme avortant en 1974. Alors onpartage : s’enchaînent les dialogues et les disputes, les moments d’écoute et de non-écoute,illustrant la nécessité de rompre le tabou et, pour certains, le refus de se confronter à la réalitésociale et politique de l’avortement. Annie Colère est un film profondément féministe. Il montre lepoint d’honneur mis sur l’écoute et le dialogue dans les milieux féministes. L’expérience separtage et s’apprend : le MLAC s’efforce à faire comprendre aux femmes l’importance de lacontraception. Le geste de l’avortement est présenté par la caméra, exécuté par le médecin, maisaussi expliqué par les bénévoles qui tiennent à coeur que les patientes tirent connaissance decette expérience, et comprennent le fonctionnement de leur propre corps. Annie Colère ne secontente pas de représenter la lutte féministe : le film justifie le combat et démontre au spectateursa nécessité.« On connaît Laure Calamy pour son jeu toujours juste [...] Mais dans Annie Colère,Laure Calamy sonne faux. »Pour autant, Annie Colère porte aussi son lot de défaut : si la photographie donne une uniformitéesthétique à l’image, et que la réalisation est bien menée, la mauvaise écriture des dialogues faittâche. On connaît Laure Calamy pour son jeu toujours juste, souvent excellent, qui lui a d’ailleursvalu un César de la meilleure actrice en 2021 pour son interprétation dans Antoinette dans lesCévennes. Mais dans Annie Colère, Laure Calamy sonne faux : les dialogues sont peu naturels,difficiles à jouer, et cela se ressent dans le malaise qui semble prendre les acteurs dès qu’ilsdoivent prendre la parole. Cette gêne quitte cependant le film durant les monologues ; le brillantjeu des actrices surpasse, dans ces quelques moments, la pénible écriture, pour déchirer l’écrand’une amertume qui saisit la gorge des spectateurs.Annie Colère est un film féministe qui déroute le spectateur aussi bien par son thème - lesavortements illégaux - que par la représentation de celui-ci. L’IVG est entièrement filmé. Lacaméra n’est pas tournée vers le vagin, bien sûr : elle préfère s’attarder sur les visages, lesmâchoires crispées et les sourires. Car il y a du bonheur dans Annie Colère. Le film se veutdrame, il se voit pourtant accorder des moments de comédie, durant lesquels les personnages selaissent aller à la joie des droits acquis. C’est peut-être bien cela que Lenoir voulait dépeindre : lebonheur qui rattrape les femmes lorsqu’elles reprennent pleinement possession de leurs corps.
une critique ciné écrite par Marie GuéziecBlandine Lenoir signe son quatrième long-métrage Annie Colère, dans lequel elle exploreles coutures de la solidarité féminine et féministe.Février 1974 : Annie (Laure Calamy) est enceinte. Ouvrière, mère de deux enfants, elle ne peut sepermettre d’accueillir une nouvelle bouche à nourrir dans le foyer. Elle sollicite l’aide du MLAC(Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) afin de se faire avorterillégalement. Un an avant l’entrée en vigueur de la dépénalisation de l’IVG, la colère gronde dansles locaux du MLAC : pas assez de moyens, de médecins pour pratiquer le geste, pour trop defemmes piégées dans le regard péjoratif lancé à la contraception féminine. Annie s’engage : elleprête main forte à l’association, accompagne les femmes, finit par pratiquer elle-mêmel’avortement sur les patientes. Annie s’épanouit.« Annie Colère est un film profondément féministe »Le film dépeint avec brio le geste de la solidarité féminine : cela commence par une main tendue,un chant d’espoir, que l’on intègre et que l’on répète, que l’on achève par l’acquisition denouveaux droits. Au MLAC, on se serre les coudes : les témoignages résonnent dans les locauxdans de glaçants monologues qui révèlent la réalité de l’avortement. Avorter parce qu’on ne peutplus, avorter parce qu’on ne veut plus, avorter parce que l’autre ne veut pas. Avorter est uneviolence : non pas dans l’acte en lui-même, présenté comme surprenamment rapide et indolore.La violence survient lorsque les autres s’en mêlent ; lorsque le compagnon impose, lorsque leregard mal avisé d’un autre s’y pose, lorsque l’État empêche. Les larmes ne coulent jamais deregret ou de remords. L’on pleure parce qu’il est difficile d’être femme avortant en 1974. Alors onpartage : s’enchaînent les dialogues et les disputes, les moments d’écoute et de non-écoute,illustrant la nécessité de rompre le tabou et, pour certains, le refus de se confronter à la réalitésociale et politique de l’avortement. Annie Colère est un film profondément féministe. Il montre lepoint d’honneur mis sur l’écoute et le dialogue dans les milieux féministes. L’expérience separtage et s’apprend : le MLAC s’efforce à faire comprendre aux femmes l’importance de lacontraception. Le geste de l’avortement est présenté par la caméra, exécuté par le médecin, maisaussi expliqué par les bénévoles qui tiennent à coeur que les patientes tirent connaissance decette expérience, et comprennent le fonctionnement de leur propre corps. Annie Colère ne secontente pas de représenter la lutte féministe : le film justifie le combat et démontre au spectateursa nécessité.« On connaît Laure Calamy pour son jeu toujours juste [...] Mais dans Annie Colère,Laure Calamy sonne faux. »Pour autant, Annie Colère porte aussi son lot de défaut : si la photographie donne une uniformitéesthétique à l’image, et que la réalisation est bien menée, la mauvaise écriture des dialogues faittâche. On connaît Laure Calamy pour son jeu toujours juste, souvent excellent, qui lui a d’ailleursvalu un César de la meilleure actrice en 2021 pour son interprétation dans Antoinette dans lesCévennes. Mais dans Annie Colère, Laure Calamy sonne faux : les dialogues sont peu naturels,difficiles à jouer, et cela se ressent dans le malaise qui semble prendre les acteurs dès qu’ilsdoivent prendre la parole. Cette gêne quitte cependant le film durant les monologues ; le brillantjeu des actrices surpasse, dans ces quelques moments, la pénible écriture, pour déchirer l’écrand’une amertume qui saisit la gorge des spectateurs.Annie Colère est un film féministe qui déroute le spectateur aussi bien par son thème - lesavortements illégaux - que par la représentation de celui-ci. L’IVG est entièrement filmé. Lacaméra n’est pas tournée vers le vagin, bien sûr : elle préfère s’attarder sur les visages, lesmâchoires crispées et les sourires. Car il y a du bonheur dans Annie Colère. Le film se veutdrame, il se voit pourtant accorder des moments de comédie, durant lesquels les personnages selaissent aller à la joie des droits acquis. C’est peut-être bien cela que Lenoir voulait dépeindre : lebonheur qui rattrape les femmes lorsqu’elles reprennent pleinement possession de leurs corps.