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Critique ciné - Annie Colère

une critique ciné écrite par Marie Guéziec


Blandine Lenoir signe son quatrième long-métrage Annie Colère, dans lequel elle explore
les coutures de la solidarité féminine et féministe.

Février 1974 : Annie (Laure Calamy) est enceinte. Ouvrière, mère de deux enfants, elle ne peut se
permettre d’accueillir une nouvelle bouche à nourrir dans le foyer. Elle sollicite l’aide du MLAC
(Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) afin de se faire avorter
illégalement. Un an avant l’entrée en vigueur de la dépénalisation de l’IVG, la colère gronde dans
les locaux du MLAC : pas assez de moyens, de médecins pour pratiquer le geste, pour trop de
femmes piégées dans le regard péjoratif lancé à la contraception féminine. Annie s’engage : elle
prête main forte à l’association, accompagne les femmes, finit par pratiquer elle-même
l’avortement sur les patientes. Annie s’épanouit.

« Annie Colère est un film profondément féministe »

Le film dépeint avec brio le geste de la solidarité féminine : cela commence par une main tendue,
un chant d’espoir, que l’on intègre et que l’on répète, que l’on achève par l’acquisition de
nouveaux droits. Au MLAC, on se serre les coudes : les témoignages résonnent dans les locaux
dans de glaçants monologues qui révèlent la réalité de l’avortement. Avorter parce qu’on ne peut
plus, avorter parce qu’on ne veut plus, avorter parce que l’autre ne veut pas. Avorter est une
violence : non pas dans l’acte en lui-même, présenté comme surprenamment rapide et indolore.
La violence survient lorsque les autres s’en mêlent ; lorsque le compagnon impose, lorsque le
regard mal avisé d’un autre s’y pose, lorsque l’État empêche. Les larmes ne coulent jamais de
regret ou de remords. L’on pleure parce qu’il est difficile d’être femme avortant en 1974. Alors on
partage : s’enchaînent les dialogues et les disputes, les moments d’écoute et de non-écoute,
illustrant la nécessité de rompre le tabou et, pour certains, le refus de se confronter à la réalité
sociale et politique de l’avortement. Annie Colère est un film profondément féministe. Il montre le
point d’honneur mis sur l’écoute et le dialogue dans les milieux féministes. L’expérience se
partage et s’apprend : le MLAC s’efforce à faire comprendre aux femmes l’importance de la
contraception. Le geste de l’avortement est présenté par la caméra, exécuté par le médecin, mais
aussi expliqué par les bénévoles qui tiennent à coeur que les patientes tirent connaissance de
cette expérience, et comprennent le fonctionnement de leur propre corps. Annie Colère ne se
contente pas de représenter la lutte féministe : le film justifie le combat et démontre au spectateur
sa nécessité.

« On connaît Laure Calamy pour son jeu toujours juste [...] Mais dans Annie Colère,
Laure Calamy sonne faux. »

Pour autant, Annie Colère porte aussi son lot de défaut : si la photographie donne une uniformité
esthétique à l’image, et que la réalisation est bien menée, la mauvaise écriture des dialogues fait
tâche. On connaît Laure Calamy pour son jeu toujours juste, souvent excellent, qui lui a d’ailleurs
valu un César de la meilleure actrice en 2021 pour son interprétation dans Antoinette dans les
Cévennes. Mais dans Annie Colère, Laure Calamy sonne faux : les dialogues sont peu naturels,
difficiles à jouer, et cela se ressent dans le malaise qui semble prendre les acteurs dès qu’ils
doivent prendre la parole. Cette gêne quitte cependant le film durant les monologues ; le brillant
jeu des actrices surpasse, dans ces quelques moments, la pénible écriture, pour déchirer l’écran
d’une amertume qui saisit la gorge des spectateurs.

Annie Colère est un film féministe qui déroute le spectateur aussi bien par son thème - les
avortements illégaux - que par la représentation de celui-ci. L’IVG est entièrement filmé. La
caméra n’est pas tournée vers le vagin, bien sûr : elle préfère s’attarder sur les visages, les
mâchoires crispées et les sourires. Car il y a du bonheur dans Annie Colère. Le film se veut
drame, il se voit pourtant accorder des moments de comédie, durant lesquels les personnages se
laissent aller à la joie des droits acquis. C’est peut-être bien cela que Lenoir voulait dépeindre : le
bonheur qui rattrape les femmes lorsqu’elles reprennent pleinement possession de leurs corps.
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