C’est tapi au fond de la salle qu’il progresse, à l’abri des regards, sauf du sien : le malaise.
Elle peinait à trouver un élément qui l’apaiserait dans cette pièce censée être propice au savoir. Un crayon de bois dans sa trousse, haut de quelques centimètres, d’un vert sec et bien fin, attira son attention.
C’est sur lui qu’elle jeta son dévolu, une bouée de fortune pour canaliser son amertume. Cachée de tous et toutes, sous la table, elle le tritura.
Pourtant ce sentiment de malaise était désormais routinier, pour ne pas dire empreint en elle.
Empreint, car elle s’était faite à l’idée d’être l’objet de curiosité de la part de quelques plaisantins.
Empreint, car ils étaient désormais certains qu’elle n’était que ça : une curiosité docile.
Empreint, car la figure d’autorité même de la pièce; celui qui s’agite sur l’estrade pour faire valoir une autorité factice, censée faire office d’autorité salvatrice, se mue dans l’ignorance la plus mortifère pour elle.
L’autorité est mère et fille des bourreaux. C’est un fait ordinaire que nul ne peut nier. C’est par ce paradoxe qu’elle recouvre ses oreilles , pour éloigner les cris des meurtris.
Dans le silence de la pièce, une main sort de la poche de son propriétaire. Immense par sa portée, la main s’avance lentement vers sa proie. Les doigts se tordaient d’une façon curieuse, impatients, ils
ne cessaient de s’étirer au plus loin de la main qui n’était plus maîtresse de ses attributs avant de
s’écraser, à l’affût, sur la tête de leur victime.
Elle sentait des doigts s’enrouler dans ses cheveux bouclés, malgré elle. Les doigts cognèrent contre
son cuir chevelu avant de se retirer. Ils sont revenus à la charge, faisant quelques aller-retours, avant
d’attraper une mèche. Son estomac, à elle, ne put s’empêcher de se retourner à de nombreuses reprises,
imaginant l’état des doigts de son bourreau s’immisçant pernicieusement et sans son consentement dans son intimité capillaire.
Elle se sentait souillée.
La souillure perdurait tant elle entendait son prénom passer d’une langue à une autre, d’un sourire
déformé et malveillant à un autre, comme s’il ne lui appartenait pas.
Ce même prénom lui a été donné en hommage à sa grand-mère d’outre-méditerranée, la même qui s’est battue pour que son prénom soit reconnu par les ancêtres violents de ces jeunes insolents.
Ses ongles,à elle, ne cessaient de gratter la surface du fébrile crayon de bois qu’elle tenait sous la table.
Il pliait sous sa pression, légèrement, imperceptible à l’œil nu.
« Mademoiselle, cessez donc vos bêtises. »
Le verdict était tombé et les murmures se sont estompés.
Les épaules s’affaissèrent, les grimaces suffisantes tintaient l’atmosphère d’un
sentiment de victoire volée.
Pendant ce temps-là, le crayon avait craqué. Une écharde s’en était échappée, éraflant son doigt. Quelques
gouttes de sang s’échouèrent sur le sol quadrillé et elle ne les remarqua pas.